L’obligation de loyauté du gérant – responsabilité

Le gérant d’une société a une obligation de loyauté. Cette obligation s’impose également au président d’une SAS ou d’une société anonyme. (Cass. Com., 18 déc. 2012, n°11-24.305)

L’obligation de loyauté n’est pas une obligation formellement inscrite dans la loi. Mais elle s’impose naturellement.

La Cour de cassation a pu ainsi l’affirmer et justifier le manquement à cette obligation tantôt, sur la base de l’article 1382 du Code civil, tantôt sur celui de l’article L 223-22 du code de commerce, qui reprend le principe général énoncé dans l’article 1850 du Code civil.

D’autres dispositions du Code civil, qui s’appliquent à tous des sociétés, justifient plus encore cette obligation.

  • L’article 1833 dispose que la société est gérée dans son intérêt social et l’article 1848 le prolonge en précisant que le gérant peut accomplir tous les actes de gestion que demande l’intérêt de la société.
  • L’article 1850 énonce comme une conclusion, que le gérant engage sa responsabilité s’il manque à cette obligation par une violation des statuts ou s’il commet une faute.

Cette déloyauté est nécessairement fautive. Car la société ne peut être gérée dans son intérêt si le comportement de son gérant est déloyal.

L’obligation de loyauté justifie que le gérant ne puisse à titre personnel ou par l’intermédiaire d’une société, exercer une activité concurrente de celle qu’il est chargé d’administrer.

Car si le principe de libre concurrence s’impose, il ne se justifie que si les règles de la concurrence ne sont pas faussées.

Or le gérant d’une société qui crée une situation de concurrence au détriment de la société qu’il administre, limite nécessairement ses possibilités et réduit sa liberté de concurrence. Car il faudra bien choisir entre l’intérêt de cette société et celui d’une autre entreprise animée ou gérée par le gérant.

Ainsi dans un arrêt du 12 février 2002 (Cass. Com., 12 févr. 2002, n°00-11.602) la Cour de cassation a approuvé une cour d’appel d’avoir retenu la responsabilité d’un gérant qui avait créé une société concurrente de celle qu’il administrait, en jugeant qu’il a ainsi « manqué à son obligation de loyauté  et de fidélité à l’égard des sociétés  dont il était le gérant  »

Cette obligation en revanche ne s’impose pas aux associés, sauf clause contraire des statuts.

C’est ce qu’a jugé la Cour de cassation dans un arrêt du 15 novembre 2011 (Cass. Com., 15 nov. 2011, n°10-15.049).

L’obligation de loyauté est-elle cependant un principe absolu ?

La Cour de cassation dans un arrêt du 18 mars 2020 apporte une réponse motivée et claire à cette question (Cass. Com., 18 mars 2020, n°18-17.010).

Elle énonce en premier lieu un principe général en jugeant que ne donne pas lieu à responsabilité le fait dommageable qui porte atteinte à un droit ou à un intérêt dont la victime pouvait disposer, si préalablement elle y a consenti.

L’on retrouve ici un principe général de la responsabilité civile. La faute de la victime mais aussi son consentement à certains faits, peuvent la priver de son droit à réparation.

Dans le prolongement de ce principe, elle en déduit que le gérant d’une société qui pendant la durée de son mandat a exercé à titre personnel ou par l’intermédiaire d’une autre société, une activité concurrente de celle qu’il dirige, ne manque pas à son devoir de loyauté et n’engage donc pas sa responsabilité s’il a reçu pour ce faire l’autorisation unanime des associés.

En second lieu, la Cour de cassation juge que cette autorisation peut résulter d’une décision même non formalisée dans le cadre d’une assemblée générale. Des échanges de correspondances peuvent ainsi suffire à établir l’existence d’un accord unanime des associés.

Cet arrêt est important à la fois parce qu’il enrichit les principes qui régissent la responsabilité civile mais aussi parce qu’il invite à une réflexion sur ce qu’est la société.

Est-elle la chose des associés ? En ce cas ils peuvent par leur décision modifier son objet y mettre un terme, mais aussi accepter qu’elle puisse être mise dans une situation qui pourrait lui être préjudiciable.

Si l’on considère la société comme une victime, le fait d’accepter la situation de concurrence créée par son gérant serait de la même nature que le comportement de la victime qui provoque son dommage.

Le même traitement devrait être appliqué à l’une et l’autre : privation du droit à réparation.

Mais la société peut-elle être assimilée à la victime personne physique ,dont le libre arbitre ne dépend que d’elle-même ?

C’est la question posée indirectement par cet arrêt.

Tant que les sociétés pouvaient être considérées comme des supports du droit de propriété des associés, les décisions prises en son nom relevaient de ce droit.

Mais les sociétés ont un rôle sociétal. Elles deviennent de plus en plus des « citoyens » par leurs devoirs environnementaux, sociaux et aussi désormais par leur raison d’être (article 1835 du Code civil) et les missions qu’elles peuvent s’assigner (article L210-10  du code de commerce ).

Ne faut-il pas dès lors considérer que cette évolution ne permet plus aux associés de disposer de ses intérêts ?

La réflexion est ouverte. Elle risque de l’être si les choix faits en son nom sont préjudiciables .

Prenons un exemple. Si une société est mise par son gérant situation de concurrence avec le consentement unanime des associés, elle peut perdre plusieurs marchés et se retrouver ainsi en difficulté.

Les créanciers qui de ce fait ne pourraient pas être payés sont des tiers à l’égard du gérant. La décision qui l’autorise à créer une situation de concurrence ne leur est pas opposable. Mais elle peut leur être préjudiciable. Ne peut-on dans ce cas considérer que le gérant a commis une faute en ne respectant pas l’intérêt  de la société ?

Sera-ce affaire de circonstances ou faudra t’il dégager un nouveau principe de ces situations inédites ?

L’on sait que la violation d’un contrat peut constituer un fait fautif à l’égard des tiers qui n’ont pas à prouver d’autres comportements pour justifier une action responsabilité.

Le gérant sera-t-il à l’abri d’une action des tiers s’il a été autorisé à exercer une activité concurrente de la société ?

L’arrêt de la Cour de cassation ne répond pas à cette question. La procédure au demeurant opposait la société à son gérant qui n’est pas un tiers à son égard

En quels termes pourrait-elle se poser ?

La création d’une situation inédite de concurrence, peut de fait, suivant son importance limiter partiellement la réalisation de l’objet social , porter atteinte à l’intérêt de la société et restreindre les pouvoirs du gérant.

Si ces restrictions ou atteintes résultent d’un simple échange de correspondances entre les associés, elles seront ignorées des tiers et leur seront inopposables, conformément à l’article 1849 du Code civil.

L’on ne peut donc exclure que bien que licite à l’égard de la société, à l’égard des tiers ces restrictions puissent constituer des fautes pouvant engager la responsabilité du gérant.

Cette responsabilité sera-t-elle personnelle ou sera-t-elle celle de la société ?

Le gérant d’une société quand il agit dans le cadre de sa mission n’engage pas normalement sa responsabilité personnelle sauf faute détachable de l’exercice de son mandat social

sa responsabilité ne peut cependant être engagée que s’il a commis une faute intentionnelle d’une particulière gravité qui est incompatible avec l’exercice normal de son mandat.

Lorsque le gérant est autorisé à créer une situation de concurrence à l’égard de la société qu’il dirige avec le consentement unanime des associés, on peut exclure qu’il commet une faute volontaire d’une particulière gravité.

Sa responsabilité personnelle ne devrait donc pas être engagée.

Mais celle de la société pourrait l’être.

Le droit des créanciers risque ainsi de faire apparaître un débat inédit sur les conséquences d’une décision prise à l’unanimité des associés à l’égard de la responsabilité de la société et au-delà, sur les droits et les obligations des associés à disposer de la société.

En pratique, il paraît prudent que les associés motivent précisément les conditions dans lesquelles le gérant pourrait être amené à concurrencer la société afin de mesurer l’impact de cette décision sur la situation de la société, présente et à venir.

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